Fédération nationale de formation continue et d'évaluation des pratiques professionnelles des Centres de Santé
Le Docteur Jean-François Rey
Jean-François Rey est né le 19 avril 1925 à Lyon, mais c'est à Marseille où son père, receveur des postes savoyard va être nommé, qu'il fait ses humanités. Quand on est élève des jésuites, on apprend le grec et le latin, la rigueur et la discipline.
De Marseille, les pérégrinations paternelles le mènent à Albi, dans le Tarn, d'où sa mère est originaire. Forte femme, qui consacrera ce qui reste de sa santé à son fils unique. On le place chez les maristes. Marseille à nouveau, pour la Première et la Terminale. Puisque ses études sont à dominante littéraire, sa mère veut en faire un avocat. Ce n'est pourtant pas son inclination. Il passe un baccalauréat philosophie sciences puis rentre, en droit, à Saint-Jérôme. Il a dix-sept ans. C'est la guerre.
En novembre 1942 ses parents l'envoient chez ses grands-parents maternels, à Villeneuve-sur-Vère pour qu'il échappe au service du travail obligatoire. Il y fera le paysan. Début 1941, sa décision est prise. Il sera médecin. Retour à Marseille. Ses parents, sa mère surtout, plient, malgré le coût et la longueur des études, sept ans. Et Marseille, pour la vie. Il aura pour Maître le Professeur Henri Gastaut, spécialiste de l'épilepsie. Un homme expansif, ambitieux, une forte personnalité, un modèle de Patron.
1951 - Voici Jean-François Rey tout à la fois médecin, catholique de gauche, communiste - il faudrait dire les alchimies de la guerre et de la libération - fraîchement marié à Josette et vivant de remplacements. Mais ses parents achètent un pavillon à Sainte-Marthe et le Docteur Rey ouvre un cabinet au rez-de-chaussée. Son avenir est celui d'un médecin libéral dans les quartiers nord de Marseille. L'expérience ne dure pas. Elle ne lui correspond pas.
En janvier 1953, il rejoint l'équipe médicale du docteur Jean Marrot qui vient de s'installer au rez-de-chaussée d'une clinique, « La Maison blanche", boulevard Gaston Crémieux, à Vauban. Cinq médecins généralistes, un ophtalmologiste, un O.R.l. et un chirurgien qui exercent en équipe.
Il faudrait de longues pages pour décrire le climat dans lequel se forgea puis essaima cette expérience et l'hostilité dont elle fut entourée. Une phrase synthétise les reproches: "Des médecins rouges, qui font de la médecine jaune, dans une maison blanche". Jean-François Rey, plus tard, évoquera ce moment qui renforça ses convictions: "La plupart de ces médecins étaient très engagés dons le combat politique, toutefois tous avaient des préoccupations qui se situaient ou premier chef, mais là aussi de façon non exclusive sur un plan économique, non pas pour eux-mêmes mais pour leurs malades, essentiellement travailleurs de l'industrie du port, de la réparation navale. Deux décisions furent prises qui, à l'époque, nous semblèrent absolument essentielles pour notre pratique médicale.
Elles forgèrent notre identité, renforçant notre cohésion mais, en même temps, elles nous marginalisèrent par rapport au corps médical marseillais. Ce furent : d'une part, la suppression du lien d'argent entre médecins et malades ; nous pensions profondément, non sans une certaine naïveté, que cela allait régler nombre de problèmes liés à l'exercice médical ; d'autre part, l'alignement de nos honoraires non pas sur les tarifs syndicaux mais sur les tarifs d'autorité, c'est-à-dire 3,50 francs au lieu de 8 francs pour la consultation.
Cette attitude, non comprise par les autres médecins, renforça par contre nos liens avec nos malades venant majoritairement des quartiers populaires. (...) Quelle que fut leur origine sociologique, leur situation financière, ils pouvaient toujours accéder à des soins que nous essayions d'être les meilleurs. " (Prévenir, n°19).
Ce que n'écrit pas le docteur Rey, lorsqu'il évoque, dans cet article, ses souvenirs, c'est que la rémunération de chaque médecin se faisait à l'acte, mais constituait une masse commune répartie ensuite, indépendamment de la spécialité du praticien, du nombre de malades ou du nombre d'actes.
Cette première expérience a un tel succès que l'équipe de la Maison Blanche - Jean Marrot, Samuel Clerc, Lucien Tichadou, Jacques Besson, Philippe Morelli et Jean-François Rey - décide, comme le dira Jean-François en 1987, d'ouvrir sa "propre boutique", réalisée à la fois par les médecins et leurs patients. Il faudra trois ans pour mener le projet à terme. Une association, "Les amis de la médecine sociale", est fondée. Elle lance un appel public pour constituer le capital de départ. Une société anonyme à personnel et capital variable (La société des Amis de la Feuilleraie) achète les terrains et la bastide de "La Feuilleraie" à Saint-Barnabé. Un emprunt est contracté pour l'équipement de ce qui va devenir un complexe médical comportant cabinets de spécialistes et de généralistes, laboratoire d'analyse, service de radiologie et 57 lits d'hospitalisation. Une grande première dans le département, malgré les foudres du Conseil de l'ordre et, dira le docteur Rey, « les ricanements qui se voulaient intelligents des syndicats médicaux ».
Il ajoutera, en 1989 : "II y a quelques années, j'y amenais le docteur Jean Laroze, alors Secrétaire général de la Fédération nationale des omnipraticiens français. Avec son accent un peu rocailleux de Béziers et son sourire plein d'humour, il me dit : « C'est bien ici le site éponyme de la médecine d'équipe? » Il avait bien, en effet d'un coup d'oeil, tout compris."
La clinique ouvre en 1956. L'année 1957 est difficile, parce que tous les enthousiasmes sont paroxystiques. Des médecins partent. D'autres arrivent. Jean-François Rey ne cache pas son désaccord avec la direction individualiste du médecin chef, son ami pourtant. Les mutualistes constituent la grande masse des malades consultants de la Feuilleraie. L'Union départementale des Mutuelles de travailleurs suit avec intérêt le développement de la clinique, le mode d'exercice qui y est pratiqué. En 1957, Louis Calisti, son Président, propose à Jean-François Rey de prendre la succession du Docteur Crouzet, médecin directeur du centre de santé géré par les mutuelles, rue Grignan, qui prend sa retraite.
La rencontre des deux hommes est féconde. Ils partagent le même intérêt pour le social, et la même conception d'une mutualité d'action, de gestion et de réalisation. Le Docteur Rey commence par transformer le dispensaire de la rue Grignan qui devient un centre mutualiste pilote. La suite: "j'ai participé à la mise en place de seize centres médicaux et dentaires jusqu'en 1981" résume lapidairement le docteur Rey, dans une note de 1982. Une infirmerie à Aubagne, une Maison médicale à Aix-en-Provence, un centre médical à la Ciotat, un autre à Port Saint-Louis du Rhône, la maison médicale Paul-Paret, et, en 1962, La Feuilleraie qui s'intègre au réseau, la fusion étant devenue nécessaire. Il accompagnera d'autres créations jusqu'à sa retraite en 1989.
Gérer des centres de santé, ouvrir des centres de santé, transformer des centres de sante ne va pas sans réflexion sur l'exercice médical, l'accès aux soins, une certaine conception de la santé. "Nous nous posons la question de savoir si ce que nous faisons est juste, c'est-à-dire si cela correspond aux besoins réels, aux besoins des patients, des mutualistes et des médecins.
Intégrons-nous la totalité de la réalité ? Ou filtrons-nous dans la réalité globale une réalité particulière ? Voilà la question. La ligne juste dépend de la réalité globale et la réponse ne peut venir que de la population", explique Jean-François Rey à Monika Steffen, pour sa thèse (Monika Steffen. Régulation politique et stratégie professionnelle : Médecine libérale et émergence des centres de santé, Institut d'Etudes politiques, Grenoble, 1983).
Dès son entrée en mutualité, Jean-François Rey participe aux débats de fond suscités par l'expérience mutualiste marseillaise. Il doit avec d'autres dirigeants de la mutualité des travailleurs, tout autant se garder de sa droite que de sa gauche, des syndicats professionnels et des organismes de Sécurité Sociale. Il s'exprime plusieurs fois dans La Nouvelle Critique sur la santé et l'organisation de la médecine en France. Ses réflexions montrent toute la complexité de l'engagement qu'il a choisi, celui d'une médecine militante dont les réalisations peuvent être une école d'apprentissage à la gestion pour la classe ouvrière. Il anime des journées d'études internes.
En 1968, il donne un caractère départemental à une réflexion sur "le médecin généraliste dans trois structures d'exercice : isolé, en groupe, libéral, salarié."
En 1969, il s'interroge publiquement sur le fonctionnement des structures de l'exercice médical dans les Bouches-du-Rhône.
En 1970, la question est cette fois-ci plus vaste: "Demain, quelle médecine ?" Débat fécond qui commence à trouver des échos nationaux.
En 1971, il est du colloque sur la médecine d'équipe, lui qui, par ailleurs, défend la valeur du colloque singulier entre le médecin et le patient. Rencontre nationale où les participants conviennent (déjà !) de la nécessité de dépasser les cloisonnements de l'art médical, la séparation entre généralistes et spécialistes, entre ambulatoire et hospitalier, entre santé et social.
En 1976, il construit une rencontre nationale sur la prévention. « Revenant d'une visite au centre de médecine
préventive de Vandoeuvre-lès-Nancy, et à son directeur, le docteur Poulizac, dira plus tard Jean-François Rey, je fis part à Louis Calisti de ce que je venais d'y découvrir qui m'avait émerveillé. Louis ne me laissa pas le lemps d'achever ma phrase pour me dire : "Il faut tout de suite préparer un colloque national sur la prévention " ».
En 1977, il organise, avec l'Union des syndicats de médecins de centre de santé un colloque sur leur avenir. "Un grand événement » Notre message passait peu à Paris. Mais pour ce colloque, tous les parisiens se sont déplacés à Marseille et ça a accroché des jeunes du syndicat'' (cité par Monika Steffen, oc.). A l'issue des travaux, un manifeste est signé entre l'Union départementale des mutuelles de travailleurs et l'Union syndicale. C'est l'année où il cosigne, avec Louis Calisti, l'ouvrage « Santé et cadre de vie », pour écrire: "Demain, le droit à la santé ne sera plus seulement le droit aux soins, droit des malades, il sera le développement des conditions de santé, droit de l'homme bien portant".
En 1978, Louis Calisti est élu Président de la Fédération nationale des Mutuelles de Travailleurs.
Jean-François Rey en devient le conseiller technique médical. Cette année-là il participe à un colloque sur "santé, démocratie, liberté" d'où va naître la revue Prévenir. Prévenir sera, à partir de 1980, l'un des lieux d'expression du Docteur Rey sur une multitude de sujets. Pendant longtemps il en nourrira également les pages lectures. Mais sa participation va bien au-delà. Il écrira, reprenant les termes de l'éditorial fondateur de la revue que "le terreau était prêt pour une nouvelle frondaison où s'exprimeraient et se confronteraient mutualistes et professionnels de santé, chercheurs de diverses disciplines, représentants élus de la population, dans le cadre d'un outil intellectuel au service de ceux qui recherchent des solutions nouvelles dans le champ social et de la santé."
Le corpus de ses écrits - encore conviendrait-il d'y ajouter les collaborations qu'il offrit à La Vie Mutualiste - dessine l'homme. Dans la diversité des sujets qu'il a abordés, jamais le docteur Rey n'a écrit sans connaissances, sans réflexion, sans soutenir sa thèse.
Au début des années 1980, il fonde l'Association nationale pour le développement de la médecine d'équipe qui eut pour journal : « Rencontre médicale ». Ce fut un lieu d'écriture, d'élaboration d'idées, de rencontre et de maturation d'une nouvelle génération de médecins de centres de santé. Ce journal avait - grâce à l'appui de la Fédération nationale de la Mutualité des Travailleurs - une diffusion très large dans le monde médical.
En 1989, au terme de trente deux ans de service, Jean-François Rey transmet la direction des centres de santé mutualistes des Bouches-du-Rhône à l'un de ses plus proches collaborateurs, Alain Simoncini. Pour autant il ne quitte pas la mutualité, ni la charge des responsabilités.
Il s'engage alors dans la création de la Mutuelle provençale de la solidarité qui regroupe des titulaires du R.M.I. Il anime le collectif social des Mutuelles de Provence et s'investit dans la prévention du mauvais vieillissement (Prévenir, n°35). Il apporte sa pierre à la construction de l'Institut de promotion de la Santé. Il participe au collectif de rédaction de Prévenir.
Jean-François était de la race des bâtisseurs.
FNFCEPPCS - 74 avenue Pierre Larousse - 92240 Malakoff - Tél. : 01 41 17 48 02